Le fiduciaire a des devoirs envers la fiducie et ses bénéficiaires.
L’une des responsabilités les plus fondamentales, et parfois les plus difficiles, de chaque fiduciaire est d’investir les biens de la fiducie. La gestion des placements comporte un risque inhérent et les bénéficiaires comptent sur les rendements générés par la fiducie pour assurer leur sécurité financière ou leur soutien.
Bien que le placement fiduciaire soit complexe, nuancé et distinct, voici trois des questions les plus pertinentes pour tous les fiduciaires.
L’acte de fiducie contiendra des dispositions spécifiques définissant les pouvoirs de placement du fiduciaire. Le constituant peut inclure dans l’acte des dispositions aussi étroites ou aussi larges qu’il le souhaite. Dans de nombreux cas, les dispositions relatives aux placements obligent le fiduciaire à ne choisir que des placements autorisés par la loi pour les fiduciaires.
Quels sont les placements autorisés par la loi pour les fiduciaires? Le champ d’application de cette autorité a certainement évolué au cours des dernières décennies. Historiquement, les fiduciaires devaient investir conformément à une liste de placements approuvée. Cette « liste légale » était inscrite dans les lois et règlements provinciaux.
Théorie moderne du portefeuille
Au fil du temps, cette approche prescrite a fait l’objet de critiques croissantes. Elle ne correspondait pas aux réalités des marchés du placement et des valeurs mobilières et était en décalage avec les approches de placement largement adoptées, telles que la théorie moderne du portefeuille.
La théorie moderne du portefeuille se concentre sur la construction de portefeuilles diversifiés qui optimisent les rendements attendus avec un niveau de risque donné. On en est arrivé au point où le fait de suivre la liste légale des placements et de ne pas utiliser une approche fondée sur la théorie moderne du portefeuille pourrait être considéré comme imprudent, puisqu’aucun investisseur averti ne suivrait autrement la liste légale. L’approche de la théorie moderne du portefeuille, qui consiste à évaluer les portefeuilles de fiducie dans leur ensemble et dans le cadre de la stratégie de placement globale, a été jugée plus appropriée que les listes légales qui examinent les placements individuels de fiducie de manière isolée.
Règle de l’investisseur prudent
Les provinces ont depuis lors mis à jour leurs lois, permettant aux fiduciaires d’investir conformément à la « règle de l’investisseur prudent » qui stipule que lorsqu’il investit les biens de la fiducie, un fiduciaire doit faire preuve du même soin, de la même compétence, de la même diligence et du même jugement qu’un investisseur prudent exercerait en faisant des investissements.1
L’évolution de la règle de l’investisseur prudent a formellement incorporé la théorie moderne du portefeuille dans le placement fiduciaire et a permis aux fiduciaires d’élaborer une stratégie de placement dans le contexte d’objectifs de risque et de rendement spécifiés et appropriés pour la fiducie. Cette modification a permis d’élargir considérablement les possibilités de placement fiduciaire.
L’application de la règle d’impartialité est un autre élément clé à prendre en compte lors du placement de biens fiduciaires. En vertu de ce principe, les fiduciaires doivent s’assurer que les bénéficiaires, qui ont des intérêts uniques, reçoivent ce à quoi ils ont droit selon les termes de la fiducie. Ni plus ni moins. Sous réserve de l’acte de fiducie, aucun avantage ou charge ne doit être accordé à un bénéficiaire (ou à une catégorie de bénéficiaires) par rapport à un autre.
Être impartial signifie que les fiduciaires doivent s’assurer que les besoins des bénéficiaires qui dépendent actuellement des revenus de la fiducie et de ceux qui s’attendent à hériter un jour du capital sont satisfaits. Il convient de trouver un équilibre actif entre ceux qui bénéficieront directement des fonds fiduciaires aujourd’hui et ceux qui en bénéficieront à l’avenir. Équilibrer les besoins des deux types de bénéficiaires peut être un exercice délicat, car les bénéficiaires de ces deux groupes sont des personnes différentes, alors que dans un contexte non fiduciaire, c’est souvent la même personne qui bénéficiera des avantages à court et à long terme.
Nonobstant l’application de la règle d’impartialité, la règle de l’investisseur prudent permet aux fiduciaires d’avoir une vision plus large du risque et du rendement du portefeuille, d’utiliser la diversification pour améliorer les attentes en matière de rendement tout en réduisant le risque, et de rechercher un rendement total optimal des placements.
Il existe de nombreuses façons de structurer une fiducie. Les fiducies séparent toujours le rendement des placements en deux catégories : les revenus et les gains en capital. Du point de vue de l’administration de la fiducie, les revenus sont généralement constitués d’intérêts et de dividendes, tandis que la croissance du capital est générée sous la forme de plus-values. Un exemple courant est celui d’une fiducie en faveur du conjoint qui stipule : « Que tous les revenus de la fiducie soient versés à mon épouse jusqu’à ce qu’elle décède. Que le capital soit versé ensuite à mes enfants. » Dans ce scénario, l’épouse veut un revenu maximum et les enfants veulent un maximum de gains en capital. Dès le départ, les besoins des deux parties s’opposent, surtout s’il y a eu un deuxième mariage.
Contrairement à ce modèle traditionnel, nous recommandons souvent des conditions de fiducie discrétionnaires qui permettent à un fiduciaire de distribuer des fonds en fonction des besoins des bénéficiaires (ou de l’objectif de la fiducie), plutôt que de la source du rendement, supprimant ainsi la distinction habituelle entre revenus et gains en capital. Ce modèle de fiducie discrétionnaire est plus souple et s’adapte aux circonstances futures.
Les réalités du marché sont en constante évolution et imprévisibles. En particulier dans les environnements à faible rendement, une focalisation étroite sur la génération de revenus traditionnels de la fiducie afin de répondre aux besoins d’un bénéficiaire de revenus peut frustrer les bénéficiaires et entraîner une divergence par rapport à la règle d’impartialité. Un modèle entièrement discrétionnaire permet au fiduciaire de rechercher l’équilibre optimal entre le risque et le rendement, en se basant sur le rendement total du placement, et non sur des tranches distinctes de revenus et de gains en capital.
De même, les relations familiales et les dynamiques qui y sont liées ne sont plus statiques. Le modèle traditionnel peut inciter les différents bénéficiaires à viser des objectifs de rendement de placement trop précis, comme une maximisation du revenu de dividendes. Un modèle de fiducie discrétionnaire satisfait les intérêts de tous les bénéficiaires, car il cherche à optimiser le rendement de placement total du placement, dans le respect d’une tolérance au risque appropriée. Le fiduciaire peut ainsi se concentrer sur la satisfaction des besoins des bénéficiaires au lieu d’arbitrer des différends sur la stratégie de placement.
Examen attentif des dispositions en matière de placement
Bien que les fiduciaires doivent être plus impliqués et plus actifs dans la gestion des biens de la fiducie, le passage à une règle d’investisseur prudent plus flexible a permis aux fiduciaires d’accéder à un plus large éventail d’options de placement, souvent avec des rendements plus élevés et moins de risques que dans le cadre du régime de la liste légale.
Le placement fiduciaire n’est pas la même chose que la prise de décisions de placement pour son propre portefeuille. Une personne a la capacité d’accepter subjectivement un niveau de risque ou d’adopter une stratégie de placement qui peut ne pas être acceptable lorsqu’elle prend des décisions de placement pour le compte d’autres personnes. L’objet et les termes de l’acte de fiducie fourniront au fiduciaire des indications sur la manière d’investir les biens de la fiducie.
Lors de la création d’une fiducie, nous vous encourageons à consulter l’avocat chargé de la rédaction afin de comprendre l’impact potentiel des dispositions en matière de placement sur les rendements susceptibles d’être générés et sur les paiements effectués aux bénéficiaires.
1. Veuillez consulter Trustee Act RSO 1990, C T.23, s.27(1) pour voir un exemple de disposition statutaire énonçant la règle de l’investisseur prudent. Les lois analogues dans d’autres provinces contiennent une formulation similaire